En droit français, le fait pour un couple désireux d’accueillir un enfant de s’entremettre avec une femme acceptant de le porter en vue de leur remettre est pénalement punissable (1). Toute convention portant sur la gestation pour autrui (GPA) est nulle (2).
Plusieurs familles se rendent donc dans des pays où la GPA est admise et, à leur retour en France, se heurtent au refus de reconnaissance de leur lien de filiation pourtant légalement établi à l’étranger.
En chiffre, sur 43 États parties à la CEDH (3) autres que la France, la GPA est autorisée dans 9 États, paraît tolérée dans 10 et est interdite dans 24 États. Dans 7 États où elle est interdite, la mère d’intention n’ayant aucun lien avec l’enfant peut établir sa maternité (4).
Le père et la mère d’intention sont désormais traités différemment car l’adage « Mater semper certa est » reste cher au droit français de la filiation (5).
La Cour de cassation ayant longtemps été très ferme en refusant de reconnaître la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger, il a fallu attendre la sanction de la CEDH en 2014 dans les affaires Labassé et Mennesson c/ France pour qu’elle revienne sur sa position, du moins pour la filiation à l’égard du père d’intention (6).
Désormais, il est donc de jurisprudence constante que les actes de naissance des enfants nés de GPA peuvent être transcrits sur les registres d’état civil en France en ce qu’ils désignent le père d’intention comme étant le père biologique (7). Cette transcription pour la mère restant cependant interdite (8), elle devra alors avoir recours à l’adoption de l’enfant, sous réserve que les conditions prévues par le droit français soient remplies (9).
C’est suite à la demande de réexamen introduite par les époux Mennesson après cette sanction de la CEDH en 2014 que revenait devant la Cour de cassation cette affaire.
En effet, un pourvoi a été formé contre le refus de transcription de l’acte de naissance des enfants en ce qu’il désignait la mère d’intention comme mère.
L’’assemblée plénière a alors décidé de sursoir à statuer afin de saisir à nouveau la CEDH et d’obtenir son avis consultatif sur les questions de savoir si au sens de l’article 8 de la Convention, le droit au respect de la vie privée et familiale requiert que soit reconnue la filiation à l’égard de la mère d’intention, et dans l’affirmative, si la possibilité offerte d’adopter l‘enfant du conjoint suffisait à respecter cette exigence (10).
Sur la 1ère question, en se fondant sur l’intérêt supérieur de l’enfant et la marge d’appréciation dont disposent les États parties, la CEDH souligne à nouveau que ce refus de reconnaissance « défavorise l’enfant dès lors qu’il se place dans une forme d’incertitude juridique quant à son identité dans la société », sa nationalité et ses droits successoraux vis-à-vis de cette mère (11).
En tenant compte des risques d’abus que comporte la GPA, la CEDH conclue que le droit au respect de la vie privée requiert que soit offerte à l’enfant une possibilité de reconnaissance de sa filiation vis-à-vis de sa mère d’intention, qu’il ait été conçu avec ou sans ses gamètes.
Sur les modalités de cette reconnaissance, en l’absence de consensus européen, la CEDH estime que le choix des moyens à mettre en œuvre relève de la marge d’appréciation des États qui doivent les définir « selon les circonstances de chaque cause ».
L’article 8 n’imposant pas une obligation générale de reconnaissance, ces derniers devraient juste veiller à ce que ce lien légalement établi à l’étranger soit reconnu au plus tard lorsqu’il s’est concrétisé, notamment par l’adoption.
En insistant sur la nécessité de garantir son effectivité et sa célérité, la CEDH attire toutefois l’attention du gouvernement français sur les difficultés que peuvent rencontrer les familles car non seulement l’adoption plénière est réservée en France aux couples mariés (12), mais l’autorisation de la mère porteuse est également requise ! (13)
On ne saurait donc dire qu’un véritable espoir naît pour les mères d’intention dans la mesure où, la voie de la transcription n’étant pas imposée aux États, l’adoption était déjà possible.
Les choses pourraient cependant être différentes si les exigences d’effectivité et de célérité de la CEDH incitaient les juridictions ou le législateur à changer de cap ou à mieux envisager la question, notamment en ouvrant l’adoption plénière aux couples non mariés…
A la suite de cet avis, la position de la cour de cassation reste très fortement attendue, particulièrement pour les instances durant lesquelles elle a dû sursoir à statuer (14).
Il ne faut cependant pas s’attendre à une véritable évolution car tout semble bien loin de la généralisation de la transcription pur et simple des ces actes de naissances étrangers.
La CEDH n’ayant émis aucune exigence particulière quant aux modalités de cette reconnaissance, l’établissement de la filiation de la mère par l’adoption pourrait être selon les juridictions la fin qui suffirait à justifier les moyens !
1. Code pénal, article 227-12.
2. Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, Code civil, article 16-1.
3. Convention européenne des droits de l’homme.
4. Avis consultatif, CEDH 10 avril 2019, éléments de droit comparé.
5. « La maternité est toujours certaine ».
6. CEDH 26 juin 2014, n° 65941/11, Labassée c. France et n° 65192/11, Mennesson c. France.
7. Ass. plén., 3 juillet 2015, n° 14-21.323 et 15-50.002, Civile 1ère 5 juillet 2017, nos 15-28.597.
8. Civile 1ère 5 juillet 2017, nos 15-28.597 et 16-16.901.
9. Civile 1ère, 5 juillet 2017, n° 15-28.597, 16-16.901 et 16-50.025, 16-16.455
10. Ass. Plén. 5 octobre 2018, n°10-19.053.
11. Avis consultatif, CEDH, 10 avril 2019, Demande n°P16-2018-001, §40.
12. Civile 1ère, 28 février 2018, n° 17-11.069.
13. Avis consultatif, CEDH, 10 avril 2019, Demande n°P16-2018-001, §57.
14. Civile 1ère, 20 mars 2019, n°18-11.815, 18-50.006, 18-14.751,18-50.007.